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Lire également : [Signer l'Appel pour l'Ecole] |
Cet
appel (publié dans Le Monde du 23 mars sous le titre «
Claude Allègre, énième pompier pyromane »), a été
rédigé par un groupe d'intellectuels pour soutenir le
mouvements des professeurs de l'enseignement secondaire
contre les « réformes » de M. Allègre. Les signatures sont à envoyer à l'adresse suivante: APPEL POUR LÉCOLE 1, rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 PARIS. |
APPEL POUR LÉCOLE Attaques contre les professeurs, suppression massive dheures de cours au lycée, professionalisation du CAPES, qui consiste caporaliser les professeurs des lycées et collèges et à les priver de lenseignement universitaire indispensable à une véritable formation, nouveaux programmes allégés et incohérents, en mathématiques notamment, etc., les réformes Allègre se poursuivent. Le ministre, bien plus habile manoeuvrier que ne veulent le croire ceux qui ne lui reprochent que la forme de son action, a mis son talent politicien et sa brutalité au service dune vieille politique. Pour le principal, elle consiste à appliquer au lycée les recettes qui ont fait leur preuve depuis plusieurs décennies dans la dégradation du collège. Si lon ny met pas un terme, nous aurons bientôt une société sans école. Nous ne croyons pas cette perspective souhaitable ni même vivable, cest pourquoi nous lançons cet appel. Cest donc une erreur de croire que lactuel ministre est le premier à entreprendre une véritable réforme dun système éducatif trop longtemps figé dans limmobilité et le conservatisme. En réalité, depuis plus de vingt ans la loi Haby est de 1975 , lÉducation Nationale subit une cohorte incessante de réformes, lune succédant à lautre, sans quaucune ne soit jamais évaluée. Lesprit de ces réformes est toujours le même : gérer dans lhypocrisie laugmentation massive de la scolarisation secondaire et supérieure, en faisant comme si massification rimait automatiquement avec démocratisation. Doù une politique de désarticulation de lÉcole et de déni de ses difficultés, notamment : la lourdeur et lhétérogénéité excessives des classes, la violence, lillettrisme au collège et même au lycée, la sélection par léchec et le découragement, dans les filières dites non sélectives de luniversité. Doù labandon insidieux des finalités de lÉducation Nationale : linstruction, lintégration à la société, légalité des chances, la formation des élites, au moyen de la transmission du savoir et de la culture. Doù loubli du fait que linstruction est la condition de lindépendance de jugement quune société démocratique attend de ses membres. Cest contre cela que les professeurs se sont insurgés depuis lan dernier, à peu près seuls jusquà ces derniers jours, mal relayés par des syndicats qui privilégient la revendication des moyens sur la lutte pour les fins de linstitution. Depuis janvier 1999, les professeurs du secondaire se sont donc organisés dans des Collectifs pour la démission de Claude Allègre, des coordinations locales, ils ont mené de nombreuses grèves. Leur action débouche aujourdhui sur un mouvement dampleur. Ils sont entrés en résistance, déclarent-ils, contre le pire ministre que lÉducation nationale ait connu. On éduque en enseignant clament-ils dans leurs manifestations. Ce devrait être un truisme, cest devenu une protestation contre labandon des fins de lécole, au profit dun improbable mélange dhédonisme (chacun doit sépanouir tout seul, sans subir lautorité éducative), dutilitarisme à courte vue (léducation est une entreprise de formation de la main doeuvre) et de modernisme incontinent (par exemple : lenseignement par disciplines est dépassé, vive linterdisciplinarité). En demandant la démission de M. Allègre, les professeurs défendent leur métier et leur statut, agressés avec un despotisme haineux par leur ministre, mais ils se battent aussi pour une institution précieuse et dont ils sont le pilier, lÉcole. Ceux qui sont séduits par tel ou tel aspect des projets de M. Allègre devraient se demander ce que peut valoir une politique éducative qui requiert labaissement matériel et moral des professeurs. M. Allègre a compris que la réforme passait par cet abaissement et mis la vindicte nécessaire dans ses manières dagir, mais là sarrêtent ses mérites propres, car sa politique néfaste nest même pas la sienne, elle ne fait que parachever la réforme. Lorientation de la réforme est-elle bonne ? Peu importe, la question ne sera pas posée, réformer est devenu un verbe intransitif. Voilà le vrai conservatisme, le soviétisme éducatif : lentêtement dans la même voie, le refus den reconnaître léchec. Du rapport Legrand (1981) au récent rapport Meirieu (1998), cest la même démagogie destructrice qui est obstinément recyclée : il ne sagit plus denseigner ; les élèves, le monde ont changé, le métier de professeur aussi. Linstruction publique serait une fiction injuste et inefficace, la vraie modernité démocratique consisterait à renoncer à cette fiction. Le bonheur est dans ladaptation. Le renoncement, tel est le ressort des réformes, enrobé sous la démagogie de linnovation pédagogique et de légalitarisme. Les professeurs savent bien, et tout le monde devrait savoir que cette stratégie est un échec, quelle a engendré un accroissement de linégalité sociale, attesté notamment par la diminution du nombre délèves de milieu modeste accédant aux filières dexcellence. Elle est deux fois injuste, parce quelle dévalue pour tous, riches et pauvres, la reconnaissance du mérite et parce ce que ce sont les pauvres qui en pâtissent le plus, ceux qui nont pas dautre capital que celui-là. Quand, il y a onze ans, MM. Jospin et Allègre ont supprimé le redoublement en première, quont-ils fait sinon instaurer un lycée-Potemkine, qui rend la scolarité indépendante des résultats scolaires et de lavis des professeurs, et tend à ramener le lycée à une fonction daccueil. Ainsi, il y a un mensonge organisé sur la question des filières. Linstitution du collège unique et les efforts opiniâtres pour éradiquer les filières ont eu pour effet la reconstitution de filières de fait (principalement par la différenciation inévitable entre les bons et les mauvais établissements), dautant plus injustes quelle sont clandestines (mais bien connues de certains) et quil est difficile de passer de lune à lautre, ce que pourrait permettre en revanche une véritable diversification en filières, y compris au sein dun même établissement. Il est temps de cesser de jouer la vertu outragée dès quon évoque le principe de sélection. Le refouler ne supprime en rien la réalité de linégalité, mais escamote seulement le moyen dexaminer lucidement à quelles conditions la sélection et lémulation scolaires et universitaires pourraient contribuer à légalité des chances. Le millénarisme niais des chartes pour le XXIème siècle que Claude Allègre a octroyées à lécole primaire et au lycée est lapothéose de cette logique où de faux professeurs (cest pourquoi il faut décourager les vrais) feront semblant denseigner à de faux élèves qui feront semblant dapprendre, les bonnes notes étant garanties à tous par des quotas ou des épreuves ad hoc. Prédiction exagérée ? Hélas non, réalité en marche : quon en juge, par exemple, par la nouvelle épreuve dhistoire au baccalauréat, introduite en 1999. La décision de M. Allègre (partiellement rapportée depuis) abaissant la rémunération des professeurs pour financer des emplois-jeunes est un symbole : il sagit de substituer des moniteurs aux professeurs, et de punir ces derniers de saccrocher aux vieilles lunes du savoir et de la culture, en leur faisant supporter le poids dune mesure de solidarité nationale quil eut été plus juste, à ce titre, de financer par limpôt. Nous ne méconnaissons pas le problème que pose à nos sociétés le poids croissant de la dépense publique mais, si le gouvernement estime que le budget de léducation est trop élevé, quil le dise, et ne fasse pas semblant de faire un effort, quand il cherche à réduire les dépenses déducation. Attitude dautant plus incohérente que les économies réalisées sur le dos de lécole élémentaire et secondaire viendront grossir la pression dépensière sur luniversité, sommée daccueillir de plus en plus de jeunes gens de moins en moins bien préparés à des études supérieures. Lorsquil déplore lempilement des savoirs, M. Allègre agit en pompier pyromane. En minant la culture scolaire à coups dhistoire sans dates, de français sans lecture des oeuvres et de mathématiques sans démonstrations, M. Allègre et les conseillers inamovibles dont il est le porte-parole du moment ont ruiné la cohérence de lenseignement. Doù limpression légitime dempilement. Ils ont donc beau jeu dappeler maintenant à lallégement des horaires et des programmes, comme si le nivellement par le bas avait jamais été une solution. Mais, par un étrange aveuglement, linjustice et linefficacité du système servent darguments pour pousser plus loin la même logique. De la sorte, on sacharne à rendre inintelligible et impraticable lidéal qui définit linstitution scolaire, alors que notre devoir civique et politique est de repenser et de reformuler cet idéal, de linscrire dans des conditions sociales et anthropologiques, certes nouvelles, mais ni plus ni moins défavorables à léducation que ne le furent celles du premier âge de la démocratie. Il sagit de faire face à la tension inévitable de léducation en démocratie : prendre en compte laspiration à légalité et le goût de la liberté sans détruire le principe du mérite et lautorité de linstitution. Lair du temps pousse à voir dans cet idéal une duperie, alors quil exprime une exigence. Les enseignants le savent, qui sobstinent envers et contre tout à maintenir lÉcole dans sa mission première de transmission des connaissances et de formation de lintelligence. Que les professeurs aient choisi enfin, rompant avec le découragement et la culpabilisation, daffirmer et de défendre publiquement la valeur de leur mission fournit la chance de soulever le couvercle du dogmatisme de la réforme et de réorienter la politique scolaire. Gageons que leur mouvement réussira. Il mérite le soutien et lengagement de tous : des journalistes et des écrivains qui veulent avoir encore des lecteurs demain, aux parents qui voudraient pour leurs enfants des têtes vraiment bien faites, aux universitaires et chercheurs soucieux de transmettre et de développer la culture humaniste. Premiers signataires : Olivier BEAUD, professeur de droit public, Université de Paris II; Guy COQ, agrégé de philosophie; Pedro CORDOBA, maître de conférences despagnol, Université de Reims; Vincent DESCOMBES, directeur détudes, EHESS; Michel FICHANT, professeur de philosophie, Université de Paris-Sorbonne; Marcel GAUCHET, directeur détudes, EHESS; Claude HABIB, professeur de littérature, Université de Lille III; Reynold HUMPHRIES, professeur, Université de Lille III; Philippe PORTIER, professeur de science politique, Université de Rennes; Philippe RAYNAUD, professeur de science politique, Université de Paris II; Rémi PRUDHOMME, professeur déconomie, Université de Paris XII; Paul THIBAUD, écrivain; Antoine THIVEL, professeur de grec ancien, Université de Nice; Joseph URBAS, maître de conférences en littérature américaine, Université de Paris X, Bernard WALLISER, professeur déconomie, École Nationale des Ponts et Chaussées. Signatures à adresser à: APPEL POUR LÉCOLE 1, rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 PARIS. |
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