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René Haby, ancien ministre de l'éducation de 1974 à 1978 : "La gauche a mené une politique de droite en supprimant du collège tout ce qui n'est pas élitiste"

LE MONDE | 05.04.01 | 12h05
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"Quel souvenir gardez-vous du débat sur le collège unique dans les années 1974-1977 ?

–J'étais passionné par cette question, notamment parce que j'étais à l'origine de la situation antérieure.
René Haby, ministre de l'éducation, à Toulouse, le 12 février 1975
En 1962, alors que j'étais directeur de la pédagogie au ministère de l'éducation nationale, j'avais "inventé" l'organisation des CES (collèges d'enseignement secondaire) en trois filières: la section I, dite "lycées", conduisant au cycle long, la section II type collège conduisant au cycle court et la III appelée "de transition". Au début des années 70, j'avais écrit à Joseph Fontanet, alors ministre de l'éducation, que je ne voyais pas comment son projet de supprimer les filières pouvait être mis en œuvre.
" En même temps, je m'étais rendu compte à quel point cela ne marchait plus. Non pas pour des raisons pédagogiques mais parce que dans le collège lui-même, il y avait une ségrégation extraordinaire. On mettait littéralement le cycle III dans des baraques. On ne pouvait pas continuer comme cela. Valéry Giscard-d'Estaing avait notamment pour objectif de mener une politique sociale relativement avancée pour l'époque. C'était la période de la loi sur l'avortement, du vote à 18 ans et Giscard croyait vraiment à cette idée d'une formation commune pour les jeunes entre 11-12 ans et 15-16 ans. C'est d'ailleurs Giscard qui a le premier utilisé l'expression de "collège unique", pour bien montrer qu'on avait supprimé les filières.

–Le collège unique a-t-il été créé au nom de l'égalité des chances ?

–L'égalité des chances, c'était un refrain à l'époque. En réalité, la notion de collège unique répondait à deux objectifs précis: un besoin de développement culturel de la nation, d'élévation du niveau de connaissances. Le bagage de l'école primaire –lire, écrire, compter– n'était plus suffisant. De plus, il fallait résoudre le problème de l'intégration. On sentait le besoin de resserrer les liens entre les différentes catégories sociales et ethniques.

–Qui s'opposait à ce projet ?

–D'une part, l'intelligentsia pour qui le collège unique correspondait à l'impossibilité de développer le niveau culturel traditionnel, à la pression de la masse pour tirer l'enseignement vers le bas. Raymond Aron, par exemple, a été extrêmement dur, il parlait même de "complot marxiste". Cette intelligentsia, qui considérait qu'on diminuait l'exigence conceptuelle et abstraite de ce qui était l'ancien premier cycle des lycées, était appuyée par les enseignants qui avaient eux-mêmes été formés dans ce moule et s'y trouvaient bien. Quand un élève ne faisait pas assez d'efforts pour comprendre un professeur, on estimait qu'il devait être orienté.
"L'autre opposition – et c'était d'ailleurs le paradoxe de l'époque – était celle de gauche. Mais elle avait du mal à se formaliser. Lorsque j'ai présenté ma loi, un sénateur communiste avait dit : "Il y a nécessité pour le collège d'éliminer toute différence entre section ou filière de niveau inégal.
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Le tronc commun s'entend avec les mêmes programmes fondamentaux pour tous les élèves au sein de classe commune".
L'opposition de gauche essayait de montrer que je n'allais pas assez loin mais, en même temps, récusait toutes mes propositions pour des raisons purement politiques. Voir un ministre de Giscard faire une réforme qui aurait pu convenir à la gauche, ça n'allait pas dans la compétition présidentielle de l'époque. Ces deux oppositions se sont conjuguées. Résultat, je n'ai guère été soutenu.

–Au-delà de la réforme des structures, il y avait aussi la question des contenus d'enseignement et du savoir minimal défendu par M. Giscard d'Estaing…

–Le contenu, c'est finalement le problème qui n'a jamais été résolu, non pas par la loi et les décrets mais par l'application qui en a été faite. Je savais qu'il ne fallait surtout pas négliger tout ce qui s'appuie sur l'intelligence concrète. C'était une solution pour concilier la masse des élèves et le programme: il fallait absolument introduire dans le tronc commun des éléments qui ne s'y étaient jamais trouvés jusque-là. Les textes prévoyaient dès la sixième des exercices spécifiques d'intelligence concrète avec une forme de travail manuel. En quatrième, j'avais créé, sur le papier, un atelier pour tous les élèves dans chaque collège comportant des travaux du bâtiment, des montages automobiles, des installations électriques. Cette mesure coûtait cher –environ 20 milliards de francs. Elle n'a jamais été réalisée.

–Vous avez été également critiqué, notamment par les syndicats d'enseignants, pour votre volonté d'introduire une préparation à la vie quotidienne.

–J'ai souhaité introduire l'initiation économique pratique, englobée dans les sciences économiques et humaines. Cela a été un tollé alors qu'il s'agissait, pour moi, de compléter la culture de base du citoyen moderne.
" J'ai voulu également introduire des savoir-faire : rédiger un compte-rendu, comprendre et exprimer dans une langue étrangère des énoncés courts se rapportant à une situation vécue, rechercher des informations dans une encyclopédie ou un recueil statistique, tracer un plan... Cela bousculait la tradition de l'enseignement secondaire. Pourtant, à partir du moment où on conçoit un enseignement pour tous et non plus pour le tiers des élèves qui réussissent l'examen d'entrée en sixième, on ne peut pas leur donner à "brouter la même herbe".

–Vingt-cinq ans plus tard, le collège unique est considéré comme le maillon faible du système éducatif. Est-ce parce qu'il est utopique ?

–C'est un maillon faible qui tient quand même depuis vingt-cinq ans ! Ce qu'on a fait pour l'école primaire il y a un peu plus d'un siècle – former tous les enfants à des enseignements de base –, je ne vois pas pourquoi, à l'entrée du troisième millénaire, on ne pourrait pas le faire entre 11 et 16 ans. Ce n'est pas une utopie, pas plus que d'offrir un contenu diversifié. Or, depuis vingt-cinq ans, on a supprimé cette diversité au lieu de la renforcer. C'est à travers une diversité interne au collège, et non pas entre des établissements différents, comme le voudrait Jean-Luc Mélenchon, que se trouve la solution.

–Comment expliquez-vous que l'on ait si peu progressé sur les éternelles questions de l'échec scolaire, de l'hétéro-généité des élèves, du soutien scolaire ?

–En primaire aussi, il y a une très grande hétérogénéité des élèves et personne n'en parle parce que les instituteurs ont été formés pour la gérer. Quant à la notion de soutien, il faut se souvenir qu'elle était à l'époque rejetée par le SNES. Reste que la société actuelle n'a rien à voir avec celle de 1975. A l'époque, les notions d'autorité, d'influence parentale existaient.

–Finalement, le collège unique est un sujet initié par la droite qui pose aujourd'hui question à la gauche ?

–Quand j'ai quitté le ministère, le repli a commencé et on a tout supprimé. Qu'est-ce qui peut intéresser un élève peu conceptuel dans le collège actuel ? Vraiment peu de choses. Tout ce versant concret, pré-professionnel, a été retiré. Si on voulait faire un enseignement de masse, il fallait tenir compte des caractéristiques de l'ensemble des élèves. La gauche a hérité d'un projet qu'elle aurait pu réaliser. Elle ne l'a pas formellement abandonné mais elle a mené une politique de droite en supprimant dans le collège tout ce qui n'était pas élitiste."

Propos recueillis par Sandrine Blanchard



Quatre années tumultueuses

En nommant, en 1974, René Haby ministre de l'éducation, Valéry Giscard d'Estaing avait fait le choix du "technicien" plutôt que du politique. Le président de la République reconnaissait qu'il l'avait désigné pour sa connaissance de la "maison". Instituteur, professeur de lycée, proviseur, inspecteur général, recteur : René Haby, docteur ès lettres, agrégé de philosophie, né en 1919, a connu tous les niveaux du système éducatif. En 1978, après quatre années tumultueuses pendant lesquelles la "loi Haby" a rencontré de multiples oppositions syndicales, il fut remplacé par Christian Beullac. Depuis, la plupart des ministres de l'éducation nationale ont tenté de réformer le collège. D'Alain Savary à Ségolène Royal, en passant par Jean-Pierre Chevènement et François Bayrou, tous ont tenté d'améliorer le "maillon faible" du système éducatif, butant, à chaque fois, sur la difficulté de gérer l'hétérogénéité des élèves sous un même toit (Le Monde du 30 mars).


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