N° 385 - Juin 2000 - 2 dossiers
1: Travailler aussi en grand groupe
Coordonné par Elisabeth Bussienne et Michel Tozzi
2: Comment faire avec les réformes ? Coordonné par Jean-Michel Zakhartchouk


 Dossiers du mois  Billet du mois  Actualité éducative  Faits & idées



SOMMAIRE 1
Travailler aussi en grand groupe


Dans le premier et le second degré
Denis Meuret
: Un débat vif
François Jacquet-Francillon : Au xixe siècle : le monitorat
Hélène Eveleigh : Bourrage de classe
Joëlle Chenel-Flahou : Jour de pluie sans préau
L'équipe Vitruve : De quoi faudrait-il parler à l'AG ?
Cécile Rédaounia : Difficile d'animer les réunions
Dans le supérieur
Yveline Fumat
: Lieu d'une parole
Marguerite Altet : Un discours qui dit
Michel Tozzi : Trente groupes de cinq
Daniel Comte : Désorganiser le silence
Monik Bruneau et Louise Langevin :
De l'usage de la question
Richard Faerber : Des réseaux comme levier
Et ailleurs ?
Anne Jorro et Jean Houssaye
: Penser aussi
Guy Lavrilleux : Organiser clairement
Florence Castincaud : Réguler
Dominique Lassare : Entre l'émotion et la technologie
Michel Tozzi : Un débat philo, bien frais !


SOMMAIRE 2
Comment faire avec les réformes ?


Aider les élèves
Pierre Madiot
: L'aide individualisée a-t-elle du sens ?
Sylvie Grau : Un début de mise en oeuvre
Maria-Alice Medioni : Tous ensemble !
Paul Wohler : Des pistes pour aider
Robert Guichenuy : Du pensum au levier pédagogique
Agnès Denis : Une expérience de tutorat
Ouvertures interdisciplinaires
Françoise Dupont et Jacqueline Taillandier
Premiers regards sur les TPE
Raoul Pantanella : Les TPE à l'épreuve du feu
Colette Charrier-Ligonat et Brigitte Bracconier : Le partenariat avec les CDI
Raoul Pantanella : Un dispositif à croisements multiples
Claudine Pagès : Le journal des croisades
La vie de classe
Arnaud Dubois et Muriel Wehrung
:
Une heure de vie de classe en troisième
L'équipe RVP de l'académie Orléans-Tours Les heures de vie de classe en lycée professionnel
L'ECJS
Pierre Madiot
: Appel à débat
René Revol : Pourquoi l'ECJS aujourd'hui ?
René Revol : Délinquance
Franck Arnaud, Benjamin Daubeuf, Daniel Herelle, Claude Jensen : Premiers essais encourageants
Patrick Hubert : Mise en route


EDITORIAL 1

Travailler aussi en grand goupe

Le thème de la baisse des effectifs des classes est un sujet sensible en France. C'est une revendication centrale des syndicats enseignants. Et toute discussion sur la question a une dimension politique qui met en jeu le budget de la nation et les choix des élus (voir le Cahier sur Les coûts de l'école). De ce fait, il est difficile d'avoir une discussion sereine sur la relation entre effectifs et pédagogie. Ce d'autant plus qu'un certain nombre de chercheurs ne trouvent pas de corrélation entre baisse des effectifs et réussite scolaire .
Aussi avons-nous voulu ouvrir le débat sur la relation entre pédagogie et taille des groupes, et plus précisément sur la gestion des grands groupes. La définition de la problématique n'est pas simple ; car un " grand groupe " se définit-il par une approche quantitative ­ donc un groupe d'une taille importante, type amphi de cent cinquante étudiants ou AG des personnels d'enseignement et éducation d'un collège ­ ? Et à partir de quel chiffre le groupe devient-il " grand " ? Ou le " grand groupe " se définit-il de façon plus qualitative : un groupe qui est " ressenti " comme trop grand : classe de maternelle à trente ; de seconde avec plus de trente-cinq élèves, voire une classe à vingt très difficile ? Au sens aussi où l'on dit : " avec trois ou quatre élèves en moins, cela irait bien mieux ".
C'est aussi en fonction de l'activité prévue que le groupe peut être (ou être ressenti comme) grand. De plus en plus, dans le cadre de l'éducation à la citoyenneté ou de projets spécifiques, les élèves sont conduits à débattre en classe entière ou dans des groupes plus nombreux que la classe, lors de diverses formes de " conseils ". Ici, des enseignants de l'école primaire Vitruve et une lycéenne du lycée expérimental de Saint Nazaire témoignent de la façon dont des enfants ou des jeunes en formation peuvent animer des groupes importants.
On peut situer le débat à au moins trois niveaux
- Un niveau idéologique ou politique. " Il faut revendiquer une baisse des effectifs pour pouvoir être efficace dans le domaine pédagogique. " Fort probablement, dans de très nombreux cas : Hélène Eveleigh s'en fait ici l'écho. Osons néanmoins interroger pédagogiquement ce présupposé en espérant ne pas être taxé immédiatement de suppôt du ministère (de n'importe quel bord politique d'ailleurs, confronté à des exigences budgétaires et à nos exigences de contribuables) : on verra à ce sujet la contribution de Denis Meuret.
- Un niveau organisationnel : comment organiser une masse scolarisée pour une meilleure efficacité pédagogique ? En classes ? De quelles tailles ? Avec des groupes de taille variable suivant les objectifs (objectifs à dominante d'apport d'information ou d'aide au travail personnel, travail en groupe, décloisonnement) Dans quelle mesure une telle organisation " à géométrie variable " est-elle matériellement possible ­ pensons à la salle de classe décrite par Hélène Eveleigh ­ les nouvelles technologies peuvent-elles être une aide ? Si Richard Faerber le suggère, c'est dans le cadre de la formation continue.
- Un niveau proprement pédagogique : avec les groupes et les classes que l'on a ­ et sans préjudice de revendications pour améliorer la situation ­ que faire, comment les gérer ? En particulier dans l'enseignement supérieur (où la tradition de magistralité a longtemps fait négliger la question de l'effectif) : le " cours magistral à l'université " est traité ici, tans sous un angle historique et institutionnel (par Yveline Fumat, François Jacquet-Francillon ou Marguerite Altet) que dans une dominante pédagogique : peut-on imaginer des dispositifs interactifs pour des grands groupes ? (Monik Bruneau, Michel Tozzi, Daniel Comte)
Par ailleurs, il n'y a pas que la classe dans la vie professionnelle des enseignants. Chargés à certains moments de faire vivre et travailler des grands groupes, ils sont en d'autres occasions associés à un travail dans un groupe composé de nombreux participants. Après le temps du travail en équipe ­ de cycle, de discipline, donc généralement dans de petits groupes ­ est venu celui où c'est tout le personnel d'un établissement qui est amené à collaborer, par exemple pour établir le projet d'établissement. À quelles conditions ces tâches peuvent-elles être prises en charge par tous sans qu'on assiste à une parodie de démocratie, le " vrai " travail se faisant ailleurs ? On lira avec profit l'article de Guy Lavrilleux. Florence Castincaud, Anne Jorro et Jean Houssaye présentant d'autres dispositifs pour des situations où un groupe composé de nombreux adultes est rassemblé pour travailler.
Il nous reste un regret : en préparant ce dossier, nous avions fait l'hypothèse que peut-être, dans certains cas qui seraient à recenser, à définir, dans des conditions à préciser ­ bref, en prenant beaucoup de précautions ­ le grand groupe pourrait être une richesse en soi. Il n'a pas été possible de trouver de contribution confirmant ou infirmant cette hypothèse. Nous resterons donc avec cette question.
Élisabeth Bussienne, Professeur à l'IUFM des pays de Loire.
Michel Tozzi, Maître de conférence en sciences de l'éducation. Université Paul Valéry, Montpellier.


EDITORIAL 2

Comment faire avec les réformes ?

Qu'est-ce " être obstiné " ? - Le chemin le plus court n'est pas le plus droit, mais celui sur lequel le vent le plus favorable gonfle notre voile : c'est ce qu'enseignent les règles de la navigation.
Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain.

 

E pure si muove !
Et pourtant elle tourne ! Galilée.

 

 

Personne ne peut être satisfait du fonctionnement actuel de l'école. Voilà sans doute le seul constat sur lequel se rallieront tous les acteurs de l'éducation. Mais d'où viennent les dysfonctionnements ? De ce qu'on a trop " réformé ", en s'éloignant des missions fondamentales de l'école républicaine, comme le pensent certains, ou tout au contraire, parce que les choses n'ont en fait pas assez bougé, qu'on a surtout changé en surface pour ne pas changer sur le fond ?
Les Cahiers pédagogiques ont toujours été dans le " parti du mouvement ". Pas aveuglément, pas béatement, mais comment imaginer que l'école n'évolue pas, quand le monde lui-même évolue, quand les élèves, culturellement et sociologiquement, ne sont plus du tout les mêmes ? Certes, tout ce qui bouge n'est pas or, mais le système éducatif ne peut rester figé. Se posent alors les questions de l'origine des changements et de leur sens.

Depuis quelques mois des réformes se mettent en place. Si nous voulons prendre au sérieux l'idée de démocratiser l'accès au savoir, de lutter contre l'exclusion, de former le citoyen actif et créatif de demain, si nous voulons remplir nos missions de transmetteurs de connaissances, de " passeurs culturels ", mais aussi d'éveilleurs et d'éducateurs, nous ne pouvons que désirer des changements effectifs et organisés dans le système éducatif, comme l'indique la devise qui se trouve sur la couverture de chaque numéro des Cahiers. Mais nous ne pouvons pour autant oublier le premier de nos principes d'orientation : " l'évolution du système éducatif doit être éclairée par une recherche [...]qui ne doit être décidée et animée par une quelconque hiérarchie mais relever des acteurs mêmes de l'éducation, sur leur terrain et à leur niveau ". Ainsi, si nous souhaitons soutenir les dispositifs proposés par l'institution quand ils vont dans le bon sens nous continuerons à affirmer que " les réformes ne peuvent, sous peine d'être inefficaces et détournées de leur inspiration, être décidées unilatéralement. [...]. Le CRAP-Cahiers pédagogiques se prononce pour le droit à l'initiative individuelle et collective. [...] Il encourage et se propose d'impulser des actions de nature nécessaires à la sauvegarde de ce droit. Il est décidé à lutter contre toute décision et forme de répression contraire à ce droit d'initiative " (principe 10).
Aussi devons-nous à la fois soutenir les nouveaux dispositifs proposés par l'institution quand ils vont dans le bon sens, même si leur mise en uvre est souvent complexe et problématique, et développer les initiatives innovantes porteuses de la dynamique et des valeurs que nous affirmons, en toute indépendance. Pas forcément simple !

Ce que nous pouvons attendre des réformes
Venons-en aux finalités de ces réformes. Ce que nous souhaitons, c'est qu'elles aboutissent :
- À un recul du cloisonnement disciplinaire.
- À une meilleure prise en compte de l'élève comme sujet, dans sa diversité, avec ses difficultés individuelles, mais aussi avec ses besoins d'échanger avec ses pairs et les adultes.
- À une ouverture de l'école vers les grands sujets qui interpellent le monde de demain et qui peuvent redonner du sens au travail disciplinaire ou interdisciplinaire.
- À la formation d'une citoyenneté active, une socialisation qui soit réellement " démocratique ", ce qui passe notamment par une prise plus grande de l'élève sur la vie de l'établissement, dans le sens de sa responsabilisation.
- À un développement du travail en équipe, pas seulement celui des enseignants, mais de tous les personnels concernés.
On peut voir clairement que les innovations dont il sera question dans ce dossier sont en congruence avec ces finalités, que ce soit les travaux personnels encadrés, les travaux croisés, l'aide individualisée, l'heure de vie de classe, le tutorat, l'éducation civique, juridique et sociale, sans oublier par exemple les nouveaux programmes de français qui font couler beaucoup d'encre.

Attention aux dérives...
Évidemment, les dérives existent, consubstantiellement à toute réforme :
- Une interdisciplinarité sans principe, qui oublierait les approches spécifiques à chaque discipline et déboucherait sur une bouillie informe.
- Une vie scolaire qui serait surtout destinée à " pacifier les banlieues " et à moraliser les gêneurs (avec peu de chances d'efficacité d'ailleurs !).
- Une soumission à l'air du temps qui pourrait prendre la forme de vagues débats où les plus forts exprimeraient des idées qui seraient moins les leurs que celles d'un univers médiatique superficiel 
1.
- Une séparation dangereuse entre des structures d'aide, très individualisé, et le travail dans la classe qui serait inchangé, l'aide évitant précisément de remettre en cause l'essentiel : le cours tel qu'il est trop souvent.
- Un renoncement à des exigences en termes de culture et de savoir, à ne pas confondre avec l'utilisation de la " ruse pédagogique ", du " détour " nécessaire si on veut toucher vraiment tous les publics (s'adapter aux élèves pour qu'ils puissent s'adapter à notre " ambition ").
Reste à s'interroger sur les stratégies de mise en place de ces réformes, sur leur articulation, sur leur mise en synergie 
2. Reste à se poser la question des moyens nécessaires pour qu'elles fonctionnent autrement qu'au coup par coup et que sur les marges. Ce n'est pas vraiment l'objet de ce dossier " d'étape ". Ce n'est qu'en partie l'affaire d'un mouvement pédagogique qui renvoie aussi pour cela aux forces politiques et syndicales, même si nous avons, ô combien, notre mot à dire.
Si on en croit le ministre actuel et à en juger par les mesures prises en avril dernier, les " réformes " vont poursuivre leur chemin, dans des conditions apparemment plus favorables. Certaines ont déjà vu le jour, d'autres n'en sont qu'à l'expérimentation. Il nous semble qu'il y a " à faire " avec elles, car elles vont dans la bonne direction, même si nous voulions, nous, qu'elles aillent plus loin. Nous avons dans ce numéro voulu donner la parole à des praticiens, engagés sur le terrain, souvent dans des établissements difficiles. Si nous n'espérons pas convaincre les opposants irréductibles à toute évolution de l'école, nous pensons contribuer cependant à une appréhension plus conforme à la réalité de ce qui se joue dans les collèges et les lycées aujourd'hui.

La rédaction des Cahiers pédagogiques

1 Il s'agit d'ailleurs moins d'une dérive que d'un fantasme concernant l'ECJS, c'est avoir bien peu de considération pour les enseignants qui sont amenés à l'assurer que de penser qu'ils peuvent aussi facilement renoncer à la rigueur de l'échange argumentatif. Toutes les expériences que nous connaissons montrent bien qu'il s'agit là de la manifestation d'une mauvaise foi qui masque souvent une défense corporatrice d'un découpage disciplinaire figé à jamais
2 Nous savons combien il y a eu de " ratés " dans le lancement de ces réformes : accompagnement médiocre ou inexistant (conjugué à une régression catastrophique de la formation continue, pourtant plus que jamais indispensable), politique de communication désastreuse, incohérence des discours, manque de courage symbolisé par la fluctuation des textes et des décisions. Les pédagogues novateurs en voudront longtemps à Claude Allègre, par son incapacité à gérer la complexe machine " Éducation nationale ", d'avoir en partie discrédité certaines idées qui nous sont chères.

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Jean-Pierre H. Tétart,
professeur à l'IUFM des Pays de Loire

Tranches de vie


L
orsque j'ai été nommé à l'École normale, j'en ignorais tout. J'avais enseigné en collège, en lycée, à Paris et en banlieue, avec plus ou moins de bonheur, et j'arrivais dans une sorte de pensionnat laïc dirigé par une Supérieure à la bienveillance ironique qui m'accueille et me dit : " Soyez le bienvenu, vous êtes notre premier professeur homme. Vous enseignerez en formation professionnelle et vous dirigerez une équipe de recherche sur l'enseignement du français à l'école élémentaire. " J'allai me coucher en compagnie d'une vingtaine de bouquins de linguistique et de pédagogie.
Dans cet univers exclusivement féminin, collègues et élèves semblaient faire grand cas de ma présence. Moi, ayant verrouillé mon armure, j'entrai dans la carrière en évitant de porter sur mes élèves des regards trop intéressés. Elles, elles me regardaient. Je ne dis pas que j'étais agréable à regarder, mais enfin, j'étais seul au milieu de l'essaim et j'incarnais la nouveauté. L'une surtout, jolie et rieuse, curieuse, que je reçus chez moi au printemps suivant, pour des tête-à-tête un peu guindés. En fait, ce fut elle qui passa ma porte avec désinvolture. Je ne dis pas qu'elle la força. Nous parlions de la vie. Je n'y connaissais pas grand-chose, elle non plus, c'était compliqué. J'essayais d'avoir l'air professoral en comptant les taches de rousseur de son décolleté. Je lui offrais du whisky ­ le whisky me semblait correspondre à mon nouveau statut après tant d'années de dèche et d'auxiliariat. Elle l'avalait bravement. Sans doute eût-elle préféré du thé. Elle voulut savoir quel sens je donnais à la vie. Je venais d'y entrer. Je balayai d'un geste vague mon décor tout neuf, la bouteille entamée, mes manuels de phonologie, le journal du matin ou celui du soir. Elle répondit que non, cela ne pouvait se résumer ainsi. Elle vint moins souvent, puis plus du tout. J'en fus soulagé et déçu. J'avais pris cette habitude de me sentir important aux yeux d'une jeune fille à peine sortie de son rôle d'enfant sage. Même pas une bonne élève. L'été passa. À la rentrée, j'appris qu'elle s'était tuée dans un accident de moto. Généralement, la fille, à l'arrière, est serrée contre le dos de son conducteur qu'elle étreint de ses bras, dans un geste d'abandon confiant.
L'autre souvenir. À Venise, au pied du Rialto, sur le Grand Canal, quinze ans après. Il fait une chaleur insupportable. J'ai soif. Je mange une pêche, salement, dégoulinant de sueur et du jus de cette pêche. La foule, partout. Soudain, surgie de la cohue oppressante, une jeune femme, lisse et fraîche, flanquée d'un homme et de deux jeunes filles. Elle se plante devant moi, me nomme, se nomme, dit que je n'ai pas changé. " Vous me reconnaissez ? " Ce n'est pas une question. Oui, mais où l'ai-je connue ? Puis ça revient. Une classe de troisième, au lycée annexe de ***. Cette gamine qui, l'année suivante, revenait avec deux ou trois autres suivre mes cours, et cela m'avait valu quelques remarques acerbes de la part de leur professeur. J'avais fini par leur interdire l'entrée de ma classe. Je me demande ce qui pouvait motiver une telle fidélité. Et elle, vingt ans plus tard, elle dit : " Vous avez décidé de ma vocation, à cause de vous je suis devenue professeur. " Elle ne dit pas : " grâce à vous " mais à cause de vous Elle est agrégée de philosophie. Elle me sourit. Ce gentil mari est son mari ; ces deux jeunes filles sont ses filles et ont l'âge de leur mère du temps qu'elle était mon élève, et moi, je suis celui qui n'a pas changé et qui a changé sa vie. J'en pleurerais, pas à cause du professorat ni de la philosophie, mais parce que cette miraculeuse enfant - environ trente-cinq ans - vient de me dire qu'elle m'aima (j'emploie ce verbe faute de mieux, comme tout le monde), dans cette autre vie qui est pourtant la mienne. Mais je ne pleure pas ; je balbutie des mots sans intérêt et elle s'en va, discrètement. On me demande qui elle est. Personne. Une grâce passagère. J'ai oublié de l'embrasser.

 

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 A C T U A L I T E   E D U C A T I V E

Les ambitions du ministre Marie-Christine Chycki
"
Globalement satisfaits " ?

Le changement de ministre a pour l'instant apaisé les passions et les conflits que l'action de C. Allègre avait fait apparaître au grand jour Quels gages Jack Lang a-t-il donnés pour permettre la trêve ?
La lecture du Point de presse sur le lycée nous donne quelques éclairages. Sur le plan des principes et des valeurs affichées, l'élitisme républicain est nettement affirmé : référence à Antoine Vitez et à son " idéal de culture populaire comme culture élitaire pour tous " ; recherche d'une " école d'excellence pour chacun " de " la plus haute ambition intellectuelle, culturelle et scientifique ". Si l'on ne peut reprocher au ministre sa volonté de décrispation et l'annonce légitime de " hautes ambitions " pour l'école, on peut néanmoins s'inquiéter de l'orientation idéologique qui transparaît dans son discours reposant pour l'essentiel sur le modèle compétitif. " L'égalité des chances et l'exigence intellectuelle marchent d'un même pas " écrit-il fort justement. En apparence démocratique le slogan " l'égalité des chances " recouvre en fait une imposture : faire croire que l'école en offrant à chacun " le meilleur de la culture et du savoir " place tout le monde sur la même ligne de départ, les structures d'aide venant compenser les handicaps. L'échec est alors ramené à la responsabilité de l'élève plus ou moins méritant. Le maintien de l'aide individualisée en seconde, présenté comme un gage de la volonté de réforme du ministre risque de jouer ce rôle de leurre : que pèseront deux heures hebdomadaires d'aide au regard des conditions culturelles nécessaires à l'accès au savoir légitime ? Si encore il s'agissait de permettre à tous les lycéens de construire un socle culturel commun suffisant, de tels dispositifs pourraient contribuer à égaliser les chances Mais, dès lors que l'objectif visé se situe " au plus haut niveau ", que la culture littéraire est référée prioritairement au modèle des humanités classiques, pour l'occasion élevé au rang de modèle universel (cf. le passage sur le grec et le latin " dépositaires [à eux seuls] de pans entiers de la mémoire de l'humanité ") cette exigence là est génératrice d'exclusion.
À la fois rétablir les options, maintenir l'AI (aide individualisée), renforcer l'horaire disciplinaire, développer les TPE transdisciplinaires, créer une agence de l'innovation, sauver le latin et le grec, maintenir le bac : l'exercice est de haute voltige ! Espérons que nous ne nous y cassions pas tous le nez.

Marie-Christine Chycki, Professeur de lettres au lycée Jean Macé, Rennes.



Biennale de l'éducation

Du 12 au 15 avril dernier, à la Sorbonne, se sont déroulés les débats sur les recherches et les innovations organisés
par la 5e Biennale de l'éducation et de la formation. Le thème de cette année, Éduquer et former au xxie siècle :
" Quels savoirs et quelles incertitudes ? " a été décliné dans de nombreuses conférences, rencontres, colloques et communications qui ont cherché, inventé, expérimenté de nouvelles modalités de transmission et d'échanges. Nombre d'informations, sur les recherches comme sur les pratiques, tout à fait passionnantes. Les participants étaient nombreux, principalement chercheurs et formateurs. Sans être négligeable, la présente des praticiens était plus marginale.



Pourquoi est-il si difficile de changer l'école ?

À chaque Biennale de l'éducation, il y a une conférence inaugurale par une " personnalité ". Cette année, les participants n'ont pas été déçus par l'intervention passionnante d'Antoine Prost, suivie de réactions de " grands témoins " et d'un débat avec le conférencier.
L'historien de l'éducation, dont nous n'avons pas oublié l'Éloge des pédagogues qui reste d'actualité, a tenté d'analyser les difficultés des changements dans l'éducation, et en particulier d'expliquer pourquoi certains se réalisaient, alors qu'on se serait attendu à un échec, tandis que d'autres, ne parvenaient décidément pas à s'effectuer.
Dans le premier cas, il a cité les transformations du lycée professionnel, avec l'introduction du bac pro, malgré l'hostilité au départ des syndicats et des personnels. Dans le second cas, il a évoqué le tutorat. Celui-ci a été rejeté en 1982 parce qu'il aurait, disait-on, porté atteinte à la " liberté de l'élève " ; alors qu'aujourd'hui, a-t-il fait remarquer, l'aide individualisée est critiquée parce qu'elle serait une manifestation du " libéralisme marchand ", ce qui ne laisse pas d'étonner.
Pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? En fait, l'essentiel ne réside-t-il pas dans les questions d'identité ? Les enseignants ont une identité fortement " disciplinaire " et ce qui leur paraît porter atteinte à cette identité est souvent rejeté. On accepte à la rigueur d'ajouter (l'aide, les activités périphériques), à condition que cela n'empiète pas sur l'essentiel : les cours dans les matières scolaires. D'où la demande continuelle de moyens supplémentaires, et la pratique de la dénégation pour rejeter les arguments sur la lourdeur des programmes ou l'empilement des connaissances.
Après avoir surtout fait des constats, avoir décrit la réalité, l'analyste a cédé la place au citoyen (A. Prost est aussi un élu d'une grande ville). Les crispations identitaires, pour lui, aveuglent trop souvent les enseignants et on en vient aux dérives de la période récente. Avec émotion et virulence, Antoine Prost s'est insurgé par exemple contre l'instrumentalisation des élèves lors des grèves de mars (amener des classes manifester devant l'inspection académique lui a paru déontologiquement inadmissible) et contre la montée de la haine. " Une critique outrancière du ministre contribue au discrédit de tout ministre et donc de l'autorité. Gare aux effets en retour ! ".
Le débat qui a suivi, notamment avec J.- Y. Rochex et Ph. Perrenoud, s'est avéré riche et stimulant. Ce qui nous fait regretter qu'il n'y ait pas davantage de discussions de fond entre intervenants lors de ce genre de colloques. Par exemple, ici, on aurait eu envie de prolonger l'interrogation sur la grandeur et les limites de cette fameuse " identité disciplinaire ". Mais nous aurons la chance de retrouver Antoine Prost au colloque sur les élèves en difficulté, cet automne, colloque dont le CRAP est l'un des organisateurs.

Jean-Michel Zakhartchouk, Professeur de français en collège.

 

Tisane de simples

On trouve de tout dans une Biennale de l'éducation et de la formation : des formateurs, des décideurs, des commerciaux et des militants, de bons vieillards, de jeunes chercheurs.
On parle des profs. Avec souci. Beaucoup des quatre cents contributions portent sur les difficultés des premières années d'enseignement. D'autres méditent sur les résistances aux changements (vous avez remarqué ?) avec un regard psy ou socio proche parfois de l'anthropologie voire de la zoologie : étrange animal le prof, si vite contrarié, si peu enthousiaste, que faire pour lui ? Que faire de lui ? C'est qu'on en a sept cent mille sur les bras.
On propose des solutions : un militant type vieux lutteur explique comment, avec ses méthodes, les " yeux des enfants se sont mis à briller ". On l'écoute gentiment. Une vidéo montre la souffrance d'un prof devant ses élèves. Happy ending : il enseigne maintenant à des adultes. Ouf ! dit la salle soulagée. Ailleurs, une chercheuse dresse la liste des dix qualités du prof vraiment pro. Je constate (un peu tard) que je n'ai pas le profil. La dixième qualité, c'est d'être capable d'élaborer un plan de carrière. Tiens donc !
Non, je rigole. Il devait y avoir là un bon pourcentage de gens conscients que la grosse machine grince, coince et souffle. Et qu'il ne suffira pas de quelque tisane de simples.

Philippe Lecarme, professeur de français en retraite.



Les rencontres de l'OZP
Les dix ans de l'association de l' " observatoire des zones prioritaires "

Les 6 et 7 mai derniers les Cahiers étaient présents aux rencontres de l'OZP. S'il faisait beau à Gennevilliers nous n'avons guère vu le soleil pendant ces deux journées de travail et d'échanges, nous, les quelque deux cents personnes prêtes à occuper notre grand week-end oisif pour parler et entendre parler des ZEP et des REP.
De tables rondes en ateliers et en échanges informels les débats, les réflexions se sont mutuellement nourris. Les ZEP, REP, sont-elles une réponse scolaire à la crise de la société ? Comment leur travail est-il évalué et quels en sont les enjeux ? Quelles sont-elles aujourd'hui, demain ? Trois grandes questions débattues en assemblée plénière avec des intervenants divers, chercheurs (Michel Wievorka, Jean-Yves Rochex, Gérard Chauveau) ou institutionnels (Christian Joint-Lambert, Catherine Moisan)
Des temps d'ateliers et d'échanges également, des groupes plus restreints pour parler, entre autres, du pilotage et de l'animation des ZEP, des pratiques culturelles, des nouvelles technologies ou des activités scientifiques, de la formation des enseignants de ZEP avec des intervenants tout aussi passionnants.
Sans oublier le bar, géré par des élèves d'une troisième d'un collège tout proche, afin de financer le projet d'un séjour de révisions d'une semaine visant à préparer le brevet des collèges.
Bref, deux jours de rencontres, le terme est bien choisi, deux journées organisées par une équipe très efficace, accueillante et sympathique. Les actes de ces journées seront remis à tous les adhérents de l'association alors, pourquoi ne pas adhérer ?
Comment ? Vous ne connaissez pas l'OZP ?
L'Observatoire des zones prioritaires est une jeune association qui vient de fêter ses dix ans, qui " a pour but d'élaborer ou de susciter la réunion et la diffusion d'informations et d'analyses à l'appui des politiques de lutte contre les exclusions, menées ou à mener particulièrement dans le système éducatif  ", qui organise des réunions publiques sur des thèmes pédagogiques, sociaux et politiques, et qui publie régulièrement un bulletin. Merci à ceux qui la font vivre.

Françoise Carraud


Le CRAP s'associe à l'appel pour la poursuite des réformes

Dans notre numéro de mai, nous annoncions la publication d'un appel signé par quatorze organisations en faveur d'une poursuite des réformes. Les déclarations du ministre vont dans le sens d'un soutien à l'innovation. Pourtant, les organisations signataires entendent rester vigilantes. Voici les grandes lignes de cet appel qui demeure d'actualité.

La transformation du lycée ne peut attendre

Alors que se développe le discours d'un système éducatif atteint par la sclérose et le refus de toute évolution et au moment où un nouveau ministre prend ses fonctions à l'Éducation nationale, nous réaffirmons la nécessité d'une transformation en profondeur de l'école pour la réussite de tous les jeunes.
Nous réaffirmons en particulier la nécessité de poursuivre la mise en uvre des principes de la charte " Un lycée pour le xxie siècle " qui nous étaient apparus en mars 1999 comme étant " de nature à faire évoluer le lycée vers plus de justice sociale et à garantir un niveau d'exigence porteur d'une réelle démocratisation " :
- en poursuivant résolument les démarches engagées ;
- en donnant aux travaux personnels encadrés les conditions d'une mise en place qui leur permette de constituer un élément véritablement novateur dans la formation du lycéen, favorisant l'acquisition de l'autonomie intellectuelle ;
- en engageant sur le baccalauréat une réflexion qui, sans le dévaloriser, vise à éviter le bachotage et à ne plus faire peser sur la vie des adolescents et des enseignants et sur le fonctionnement des établissements une contrainte de plus en plus lourde ;
- en ouvrant rapidement le chantier de la voie technologique des lycées ;
- en allant plus avant dans un certain nombre de démarches en particulier pour ce qui est de l'accompagnement des élèves, de la relance des projets d'établissements et des pratiques innovantes susceptibles de contribuer à la construction d'individus libres et responsables.
Engager une véritable démocratisation du lycée suppose également que l'institution ait le souci de l'appropriation par les acteurs des objectifs, du sens de la démarche proposée ; cela suppose aussi que l'on donne à ces acteurs les moyens, en particulier en termes de formation initiale et continue, d'outils d'accompagnement et de suivi, de répondre à des exigences nouvelles, de faire face aux difficultés qui se présentent...
À ce jour, liste des organisations et associations signataires :
FAEN, FEN (SE et SNPDEN), SGEN-CFDT, FCPE, PEEP, UNL, La Ligue de l'Enseignement, CRAP-Cahiers pédagogiques, Éducation et Devenir, FOEVEN, MRERS, OCCE.


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 Fait & Idées

 Courrier

Échanges · dialogues · expériences · points de vue · récits · fictions...

Des nouvelles du front : offensive d'Alain Finkielkraut.
Les pédagogues s'organisent.
Françoise Clerc
Dans différents médias les attaques contre les pédagogues semblent s'enflammer, y a-t-il encore place pour un débat, lequel ? Ici Françoise Clerc répond au texte d'Alain Finkielkraut publié par Le Monde daté du 19 mai 2000. Pour les Cahiers pédagogiques, il ne s'agit pas de descendre dans les tranchées, mais bien de continuer à penser notre métier d'enseignant et à l'inscrire dans une perspective moderne et citoyenne. Nous en appelons aux lecteurs, instituteurs et professeurs, pédagogues du quotidien. Que pensez-vous de ces échanges acrimonieux ? Comment ces propos qui paraissent recouvrir des enjeux essentiels vous atteignent-ils dans vos choix comme dans votre pratique ? Avec vous nous souhaitons poursuivre la réflexion dans un vrai débat.

Dans les colonnes du Monde (ravi de l'aubaine) s'installe un feuilleton à rebondissements : les échanges peu amènes entre Philippe Meirieu, éminent pédagogue, et Alain Finkielkraut, éminent philosophe. Une pétition d'universitaires de renom a circulé et les médias (notamment France Culture) se font l'écho du " débat ". Ces échanges de textes viennent après d'autres qui émaillent régulièrement l'actualité éducative. Mais y a-t-il vraiment débat ? On peut en douter.
Les attaques contre " les pédagogues " sont personnalisées. Dans le cas présent, à moins de penser que les personnes incarnent totalement leurs idées, ce qui est douteux, on peut voir dans les échanges par presse interposée, plus un combat de deux intellectuels dont l'un (Philippe Meirieu) fait de l'ombre à l'autre (Alain Finkielkraut). Si Philippe Meirieu est connu pour ses engagements idéologiques mais aussi professionnels, si tout le monde n'est pas obligé de partager ses opinions (cela s'appelle la démocratie) et peut discuter la validité des savoirs qu'il avance en tant que professionnel (c'est la saine pratique du doute), on peut se demander jusqu'à quel point l'expression de la haine et la personnalisation des attaques sont admissibles. Notre société s'installe insidieusement dans des pratiques de non respect 1 qui me semblent tout aussi délétères et préjudiciables à la démocratie que la délinquance dans certaines zones urbaines. Il existe en France une tradition du pamphlet qui se justifiait lorsqu'elle répondait à un manque de liberté d'expression et prend de l'intérêt quand les auteurs font preuve d'esprit. Or, les attaques actuelles, si elles sont méchantes, sont en général dépourvues d'humour. Elles ont surtout le désavantage de polariser l'attention et de masquer le fait que le citoyen moyen est renvoyé aux sondages et aux émissions de télévision où sa parole est soigneusement encadrée, cantonnée à des sujets sans intérêt, tandis que sur ces questions qui le touchent de près, il n'a d'autre alternative que subir ou descendre dans la rue. D'ailleurs Alain Finkielkraut qui, à défaut d'être convaincant est assez malin, sent bien la faille : dans son article du Monde du vendredi 19 mai, il appelle à la rescousse les classes populaires et prend à témoin Jaurès
Dans certains textes, on chercherait en vain des arguments étayés sur des observations, une tentative d'argumentation rationnelle. On devine que pour quelques auteurs, le débat d'idées n'a finalement pas vraiment d'importance. Les " belles lettres " et les humanités sont en crise. La philosophie se démène dans des contradictions internes depuis que les sciences humaines l'ont dépossédée d'une partie de son champ théorique traditionnel et depuis que les grandes figures très médiatiques de l'après-guerre 2 ont disparu. En face, les sciences de l'éducation elles-mêmes s'entre-déchirent de façon plus feutrée, mais très réelle. Elles constituent donc une proie idéale car elles n'assument vraiment ni la pluralité des champs scientifiques invoqués pour comprendre les faits éducatifs, ni la spécificité de leur statut épistémologique. Peut-on parler des faits éducatifs sans en même temps parler de ce qui en constitue le cur, c'est-à-dire la pédagogie entendue comme un ensemble de savoirs liés à l'action des praticiens de l'enseignement ? Que serait la médecine si elle se désintéressait des protocoles de soins ? Que serait l'ingénierie si elle se désintéressait des mises en uvre des systèmes qu'elle invente ? " Pédagogue " est devenu une injure et pas seulement chez les esprits chagrins. S'il est évident que les chercheurs en éducation (pas plus d'ailleurs que les personnels) ne peuvent considérer qu'ils ont le monopole des questions éducatives, ils ont en revanche le devoir de mettre à disposition des institutions de la démocratie les savoirs qu'ils construisent, soit qu'ils aient directement la possibilité d'éclairer les choix politiques, soit qu'indirectement, ils contribuent à faire avancer la maîtrise qu'a l'opinion publique de questions qui concernent notre société dans son entier.
L'honnêteté voudrait que l'on avoue que l'évolution actuelle des savoirs et des techniques nous dépasse, la modestie, que l'on admette que nous sommes en recherche de critères de validité et de règles de conduite dans certains domaines. Ces qualités morales, je les trouve plutôt chez ceux qui acceptent de ne pas avoir de certitudes achevées, chez ceux qui doutent. Je les trouve plutôt chez ceux qui acceptent le risque de s'engager dans des actions et pas seulement en parole. Je la trouve plutôt chez ceux qui savent que le propre de l'action est l'incertitude et l'intègrent comme une donnée fondamentale de leur pensée. Mais rien ne justifie qu'on tente d'exterminer son adversaire plutôt que de le convaincre, qu'on masque des intérêts catégoriels sous un pseudo intérêt général. Tous les coups ne sont pas permis.
Le plus grave reste à dire : les jeunes sont complètement absents de ce combat qui se déroule au-dessus de leurs têtes. Ils ne sont même pas otages de la parole des adultes, ils en sont absents. Quoi qu'on pense de la consultation dans les lycées, cette tentative 3 a eu au moins le mérite d'essayer de redonner une dignité aux jeunes en leur restituant le droit de dire leur expérience Depuis longtemps, génération après génération, ils ont pris l'habitude d'être ailleurs, de se retrouver dans d'autres lieux que l'école, de fuir les débats avec les adultes, de se réfugier dans " une culture jeune ". Mais même là, ils sont récupérés par des marchands finalement plus habiles que les pédagogues. Les plus lucides d'entre eux le savent. Mais que faire ? Le libéralisme, pour ceux qui en ont les moyens, autorise au moins une illusion de liberté dans la consommation. Je ne suis pas sûre que notre société aime ses enfants : elle en a peur et les traite de " sauvageons ", elle les utilise dans des combats qui ne sont pas les leurs (une élite intellectuelle à grand pouvoir médiatique les utilise pour perpétuer sa propre culture et l'élitisme qui l'a portée là où elle est, mais elle n'est pas la seule à agir ainsi), ils sont asservis dans la bonne conscience et le politiquement correct (il ne suffit pas de mettre à disposition, dans les établissements scolaires, des préservatifs ou la pilule du lendemain pour faire uvre éducative et simplement manifester son amour). Les faits sont têtus et les sciences humaines ont montré à quel point les jeunes sont les premiers touchés, y compris dans leur vie affective, par les dysfonctionnements économiques et sociaux.
J'ai l'impression que certains d'entre nous ont oublié que, derrière nos déchirements, nos rivalités, nos états d'âme épistémologiques, nos intérêts corporatistes, il y a des adolescents que nous avons appelés à la vie. Nous avons une responsabilité à leur égard. Or, cet oubli est assez systématiquement manifeste dans le camp de ceux qui se posent en défenseurs du savoir et de la vocation traditionnelle de l'école. S'il faut apprendre autrement, ce n'est pas seulement parce que les élèves changent, ni parce que les pédagogues sont des lâches. Puisqu'il faut le dire, les représentations du savoir et de ses formes ne peuvent être dissociées de leur époque et de leur société. Le savoir que certains défendent est historiquement et socialement défini et n'existe plus que dans les rêves nostalgiques. Les savoirs évoluent dans leurs contenus, leurs formes et leurs modes de mobilisation 4. Ce n'est pas du laxisme de le dire. Ce n'est pas faire preuve de psychologisme excessif. C'est simplement sortir d'un mensonge. Quel chercheur peut affirmer sans rire que les savoirs qu'il utilise ou qu'il construit sont exactement identiques à ceux du siècle dernier ? Même les mathématiciens, depuis les Bourbaki et quelques autres, regardent autrement leurs savoirs. L'école serait-elle le dernier bastion où on entretiendrait la fiction ? Inquiéter l'opinion par des contrevérités est un procédé dangereux dans une démocratie. Il y a danger à mentir à la jeunesse et à tenter de la tenir sous la dépendance de clercs prompts à confondre leurs intérêts de caste avec ceux de la nation tout entière.

Françoise Clerc, Sciences de l'éducation, université Lyons II.

1 Cela se manifeste à l'égard d'intellectuels mais aussi de ministres (Dominique Voynet, Claude Allègre, qui lui-même n'a pas eu un comportement irréprochable), d'élus et de simples citoyens et prend des formes violemment antidémocratiques qui vont bien au-delà des paroles : manifestations impunies contre la loi, atteintes physiques aux personnes. On ne compte plus les événements majeurs dans la vie publique où l'intérêt individuel l'a emporté sur l'intérêt collectif, la vengeance sur la justice, la haine sur la loi.
2 Ce n'est pas un hasard si les livres sur Sartre connaissent actuellement une grande vogue et si la Mairie de Paris éprouve le besoin de donner le nom du couple Sartre-Beauvoir à une place. Mais ne confond-on pas la proie et son ombre ? Dans l'association philosophie-médias que Sartre et Beauvoir ont contribué puissamment à faire naître, il semble que ne restent que les médias.
3 Tentative qui au moins a été sincère chez la plupart de ses promoteurs, j'en témoigne, même s'il y a toujours une part de roublardise chez les politiques quand ils s'adressent aux jeunes.
4 Il ne s'agit pas ici d'invoquer le nombre des savoirs, ni un improbable progrès de l'humanité.

L'article d'Alain Finkielkraut, " La révolution cuculturelle ", dans Le Monde du 18 mai, persuade que ce philosophe professeur détient le secret de l'instruction mais qu'il ne le dévoilera pas. On a beau secouer son texte dans tous les sens, c'est pire qu'Orangina comme disait Coluche : impossible d'en décoller la pulpe du fond. À part fulminer contre les pédagogues pourrisseurs d'enfants, tous inspirés par ce pervers polymorphe et inculte de Philippe Meirieu, Finkielkraut ne nous dit pas ce qu'il faut faire pour ne pas être des profs cuculs.

Cependant il a, lui, enseigné dans les ZEP des banlieues rongées par le chômage et l'exclusion, dans les classes-relais, les quatrièmes technos, les classes de soutien et d'insertion. Aux côtés de Marie-Danièle Pierrelée, dans le 93, il a relevé le défi de l'auto école et, avec des élèves en mal de vivre et de culture, il a su faire des polytechniciens, des normaliens, des centraliens, etc., devant lesquels il a ensuite professé en des cours magistraux qui les ont marqués à vie. Cet homme doit donc avoir le secret pour fabriquer de l'excellence avec des élèves au départ difficiles voire impossibles. Et comme il se refuse - bien plus taiseux que le pape pour Fatima - à nous dire ses secrets et son tour de main artisanal, je propose de contourner la difficulté en lançant un appel à témoins.

Qui, parmi les anciens élèves d'Alain Finkielkraut, nous révélera les dispositifs pédagogiques miraculeux grâce auxquels le Maître a su, avec le plomb de la Courneuve et de Goussainville faire de l'or à la Sorbonne ?


Raoul Pantanella, Membre de la rédaction des Cahiers pédagogiques.




C O U R R I E R

Une lecture, une pratique

Après les divergentes recensions du livre de Samuel Johsua, L'école entre crise et refondation (in 378, Michel Develay plutôt contre et Gisèle Jean plutôt pour), une lecture quelque peu différente d'un instituteur remplaçant en ZEP. L'amorce d'un débat ?

Lorsque Samuel Johsua souligne la volonté des libéraux de " recourir de manière systématique à l'enseignement sur Internet 1 " comme lorsqu'il pointe " la difficulté, pour de nombreux élèves, de combiner leur vie scolaire et leur vie juvénile, tant les exigences et la compétition scolaire laissent peu de place à l'autonomie 2 ", je crois qu'il signale des éléments fondamentaux de la crise de l'école 3.
Pour moi qui suis instituteur remplaçant en ZEP, les nouvelles technologies et l'exigence " d'autonomie ", (demandes des classes moyennes), ne me semblent pas être premières pour les enfants en difficulté.

Le ouèbe
En premier lieu je désirerais savoir dans quelle mesure un enfant qui maîtrise mal la lecture peut trouver quoi que ce soit dans une page Web. Ces pages se présentent toujours sous une forme attractive pour l'il, mais confuse. On sait quel parcours effectue l'il du lecteur. Or là, il faut chercher dans tous les sens, on ne voit pas l'intégralité de la page. Pour trouver quelque chose il faut développer une stratégie de recherche, pas aussi simple qu'un clic de souris. L'utilisation active, maîtrisée, d'Internet est difficile, si ce n'est impossible, pour un mauvais lecteur. Sans vouloir tout jeter aux orties ce n'est pas la panacée que d'aucuns voudraient y voir.
De plus cette nouvelle utopie me semble portée par une volonté de lier l'école au développement de la " nouvelle économie ". Comme si le but de l'école était de former des élèves en fonction de besoins à court terme de cette " nouvelle économie ", comme si l'homme devait être au service de l'économie et non le contraire ?

L'autonomie
L'autonomie pose bien plus de problèmes. Elle est le but recherché de tout enseignement : savoir comment et où chercher les informations nécessaires à toute réflexion. Seulement elle peut très bien se traduire concrètement par une diminution de l'aide à l'étude que l'école doit apporter justement aux secteurs les moins favorisés. Un enfant, livré à lui-même dans la vie de tous les jours, ne peut en bénéficier totalement. L'autonomie suppose une part de liberté utilisée pour se construire un savoir, une acceptation implicite du projet de construction de la personne via, entre autres, le savoir. C'est-à-dire une auto-projection dans la société et dans l'avenir. Or les enfants de ZEP ne se projettent pas dans l'avenir car leur souci est de survivre ; quand ils se projettent ils ne voient que l'exclusion. En conséquence, ils ne peuvent utiliser de manière constructive ces espaces de liberté : il suffit de voir le peu de temps réellement efficace dans une heure de travail en autonomie en ZEP par rapport à une classe standard. En ZEP, il faut des cadres de référence clairs, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas viser à l'autonomie, mais pour construire et non pour elle-même.

Le sens
L'autonomie suppose que l'on sache, plus ou moins consciemment, pourquoi et pour qui on étudie. Et Johsua affirme que " le " sens " profond, la raison d'être des activités scolaires sont eux-mêmes atteints 4 " En effet, pour des couches de population qui commencent seulement à accéder à la scolarisation secondaire, quel peut être le sens de cette scolarisation quand les débouchés se font rares à cause de la crise économique, et quand la loi, dans et hors l'école n'est pas respectée ? C'est bien ce que je rencontre en ZEP (et même ailleurs). Il est exact que pour des raisons connues de tous (consumérisme, apologie de l'argent facile, libéralisme idéologique) il y a perte de la notion de valeur du travail. Tout le monde sait que le travail salarié n'a jamais enrichi personne et que seuls les riches sont reconnus. Dans ces conditions pourquoi étudier à l'école si dehors il n'y a pas de travail (si ce n'est de petits boulots) ? Comme nous le disait un responsable de la cellule lecture du rectorat de Caen, en s'adressant à un public d'instits en stage : " Qui a réussi d'après les critères actuels ? Vous, instits avec vos 10 000 F par mois, ou le jeune qui a cinq femmes sur le trottoir et vit avec 50 000 F ? "
" Du point de vue de celui qui apprend, la question qui nous intéresse prend [] la forme de " à quoi ça sert que j'étudie ? " [] C'est donc de pertinence qu'il faudrait parler pour fonder le " sens " [] On peut aider à l'étude [] mais on ne peut éliminer toutes les difficultés 5# ". Cette " pertinence se construit pas à pas ", avec du temps, des échecs constructifs.
Trouver cette voie n'est pas toujours aisé parce que les enseignants sont des experts en contenu, enclins au raccourci, pressés par le temps, les demandes externes et internes à l'école, et surtout parce que les élèves en difficultés font de la résistance, résistance qui désarme les enseignants non formés à la désamorcer. Mais nous devons cependant amener les enfants à cette pertinence et à cette envie d'étudier pour soi dans un cadre social c'est-à-dire collectif, sinon ce sont les lois du milieu qui s'imposeront. Car, s'il est vrai qu'il faut " apprendre pour soi ", que l'acquisition est toujours " un mélange d'aspects " collectifs " et d'aspects " individuels " pour progresser dans la " conquête du sens 6 ", comme la pression à l'individualisation, vers l'individualisme est forte, il faut déplacer " le curseur du côté collectif " dans une nécessaire confrontation et une saine émulation. Comment susciter le désir d'apprendre quand on est dans le refus et le déni ?
" L'individualisation de la pédagogie [sape] des possibilités parmi les plus efficaces pour redonner du sens à l'étude, lequel s'éprouve aussi collectivement 7 ", écrit encore Joshua car c'est dans l'imitation et dans la confrontation que les enfants progressent. C'est dans la confrontation collective que naît l'envie de se dépasser et il convient donc d'y amener les enfants en créant des situations qui, situées juste un peu au-dessus de leurs capacités et de leurs désirs, leur permettent de progresser.
Là aussi le rôle des familles est capital. Si on ne parle pas à son bébé, ou pire si on le rejette, l'échec est au bout. L'étude de M. Duyme et M.-A. Dumaret de l'Inserm, montre que si on modifie le milieu socioculturel en plaçant des enfants en grande difficulté dans des familles d'accueil de classe sociale plus élevée que le milieu d'origine, le QI évolue de 77 à 100. Ce qui m'incite à penser qu'il faut modifier de façon durable et radicalement le milieu familial : responsabilisation, éducation, formation des parents, école des parents en liaison avec l'école des enfants.
Je crois que l'une des tâches essentielles de la pédagogie actuelle est que les jeunes aient envie d'apprendre, en gardant à l'esprit que le " refus d'apprendre " des élèves en difficulté est révélateur d'un refus sourd de la société dans laquelle nous vivons. Une révolte qu'il convient d'analyser avant quelle ne se transforme en jacquerie dont les seules victimes seraient les jeunes eux-mêmes. Changer les jeunes ou changer le monde !
Marc Chiassaï, Instituteur remplaçant en ZEP, Caen.

 

Gestion mentale
À propos de la gestion mentale (cf. le 381, L'intelligence, ça s'apprend ?) une réaction au texte de Jean-Michel Zakhartchouk.

Si je renouvelle encore une fois mon abonnement à votre revue, je tiens à vous dire ma déception et même mon inquiétude à la lecture de l'article sur la gestion mentale dans le numéro 381.
Libre bien sûr à Monsieur Zakhartchouk de donner son opinion comme il le fait dans l'ouvrage de Charles Gardou mais comment admettre la caricature de cette pratique pédagogique dans l'encadré ? Nulle mention des gestes mentaux que sont l'attention, la mémorisation, la compréhension, la réflexion et l'imagination. Sont-ils si nombreux les enseignants qui savent expliquer aux élèves ce qu'ils peuvent faire " mentalement " pour donner une réponse juste à une question posée ?
Pourquoi parler de " profil pédagogique " guère pratiqué en milieu scolaire, contrairement au " dialogue " ou à " l'entretien pédagogique " si précieux à l'heure où on préconise, à juste titre, " l'aide individualisée " ?
Professeur d'anglais en collège, je pratique la gestion mentale depuis une dizaine d'années et j'espère que les enseignants savent faire la différence entre les ouvrages dignes d'intérêt et les autres.
PS : Je peux conseiller la lecture d'un ouvrage récent très sérieux : La gestion mentale. Un autre regard, une autre écoute en pédagogie, de Chantal Evano, chez Nathan pédagogie.
Catherine Thouvay, Nouméa, Nouvelle-Calédonie.

 

Plan anti-violence
À propos de l'Actualité éducative du n° 383, " Plan anti-violence ", une réaction aux réactions de Sylvie Premisler.


Je pense avoir éprouvé le même sentiment que Sylvie Premisler au plan anti-violence d'Allègre ; c'était une réaction épidermique, une chair de poule. Je reconnais bien volontiers que je n'aimerais pas avoir besoin d'un policier en uniforme à la porte de ma classe.
Pourtant je ne peux en rester là et ma réflexion avance en deux directions qui s'entrecroisent sans cesse, l'hélice de 1'ADN au service d'une logique socio-rationnelle.
Dans l'académie de Montpellier - comme ailleurs où je ne suis pas - le collège de Vauvert (30) a connu les pires excès de la violence, il y a près de quatre ans maintenant. Si on n'a déploré aucune perte humaine, il s'en est fallu de peu et bon nombre d'enseignants, d'acteurs éducatifs et d'élèves y ont connu des troubles personnels traumatisants.
Depuis deux ans, plus aucun incident. Un plan anti-violence fondé sur une politique préventive, avec par exemple un dispositif de lutte contre l'absentéisme (DLCA), a été mis en place. Une évaluation des résultats confirme le retour en cours des collégiens et l'état de calme qui règne à Vauvert, au collège et dans la cité.
Pas de miracle, seulement une prise en compte des élèves en tant que personnes par des enseignants et des partenaires de justice et de police.
La deuxième branche de ma pensée hélicoïdale, ce serait le point de vue de jeunes policiers, venus de tous horizons, qui liraient le texte de Sylvie Premisler. Ces hommes que l'on souhaite îlotiers à la sortie des collèges, qui suivent des formations de plus en plus ouvertes, par exemple dans l'Hérault une formation par la délégation régionale aux droits des femmes à l'écoute des femmes victimes de violence, ces pères de famille dont les enfants fréquentent nos classes peuvent tout à fait légitimement se sentir éducateurs dans la cité. Ils le sont d'ailleurs parfois, dans les quartiers, le mercredi ou le soir après les cours pour des activités à dominante sportive. L'école s'ouvre à la société et ne peut se permettre ni de rester sur des représentations rigides et anciennes de celle-ci ni de se laisser aller à un angélisme naïf.
Il reste donc à construire des partenariats avec des acteurs sociaux en affichant clairement les valeurs de l'école que l'on souhaite partager.
Éduquer, c'est prévenir et non réprimer ; invitons donc nos partenaires de la prévention à apporter leur point de vue dans l'éducation donnée aux jeunes.
Éduquer, c'est faire prendre conscience du danger de toutes les conduites à risques ; médecins scolaires, assistants sociaux, infirmiers policiers, juges sont autant d'acteurs qui gravitent autour de nos établissements sans trouver toujours l'accueil qui permettrait que les élèves puissent se construire une image positive de leur rôle.
À ceux qui penseraient que le passage de ma réaction épidermique aux mesures d'Allègre à ces dernières réflexions est un retournement de veste, je réponds catégoriquement non. Je continue de revendiquer le droit à ma susceptibilité d'enseignant : il ne me plaît pas d'être assimilé à cette extrême minorité désignée si souvent par l'ex-ministre (les absentéistes). De la même façon, je ne me reconnais pas parmi ceux qui ne voient que de la répression dans les actions Éducation nationale-Police-Justice.
Bravo donc à ceux qui osent tenter des opérations conjointes, qui reconnaissent le travail des éducateurs de la PJJ et qui refusent l'enfermement dans la solitude de la classe pour résoudre les problèmes graves qui perturbent leur mission d'enseignants.
Daniel Comte, PEMF, Pignan (34).

 

La Charte sur les langues régionales
À propos de la Charte sur les langues régionales, une réaction à différents textes et à leur traitement par la rédaction des Cahiers.


Dans le numéro 378 de novembre 1999, les Cahiers pédagogiques proposaient d'ouvrir un débat à propos de la Charte sur les langues régionales. Deux articles favorables à la Charte figuraient en pages deux, trois et quatre de ce même numéro dans la rubrique " actualité éducative ", le premier de Philippe Martel, président de la fédération des enseignants de langue et culture occitane, le deuxième de Roger Ebion, enseignant en Martinique.
Une réaction de Michel Alphand, proviseur honoraire, expliquant les raisons de son hostilité à la ratification de cette Charte, a été publiée dans le numéro 380, non pas en tribune mais en dernière page dans le courrier des lecteurs. Vint ensuite, dans le numéro 382 de mars 2000, un texte de Jean Sibille chargé à la Délégation générale de la langue française du dossier des langues régionales, paru en page soixante-cinq dans la rubrique " Faits et Idées ".
Peut-on parler d'ouvrir un " débat " lorsque différentes positions ne sont pas publiées sur un même " pied d'égalité " ? Je ne puis qu'exprimer ma déception aux Cahiers pédagogiques pour cette façon de procéder.
En réponse à Jean Sibille, veuillez trouver ci-dessous mon sentiment personnel :
De l'injure au mépris ?
La première salve, n·378, pointait de supposés " nationalistes - jacobins ". La deuxième, n·382, après une réponse reléguée dans le courrier des lecteurs du n· 380 (!) exécute " l'archaïsme " de tous ces " illettrés qui n'ont pas su lire la Charte ", et qui confondent le Droit et la Politique : les juges constitutionnels, Seguin, Pasqua, Chevènement, Badinter et Mélenchon, Edmonde Charles Roux et Françoise Giroud, Jean Dutour et Jean Claude Guillebaud, etc., etc.
Comme si Madelin et Cohn-Bendit, Rossi et Talamoni, ne pouvaient être suspectés, eux, d'approuver le texte du Conseil de l'Europe pour d'autres raisons que linguistiques ! Leur préférence affichée pour une Europe des régions ne cacherait-elle pas, cependant, une volonté d'enterrer le concept d'État républicain ou des arrières pensées séparatistes ?
Soyons sérieux, et revenons au cur du sujet : s'agit-il d'assurer la sauvegarde d'un patrimoine culturel ancestral ? Si la réponse est oui, une loi républicaine concernant les possibilités d'apprentissage de langues régionales et minoritaires (optionnelles) suffit. Cette loi évoquera aussi, bien entendu, la place de ces langues dans les médias publics et les aides ou subventions accordées aux créations artistiques méritantes, d'inspiration régionale ou minoritaire.
Que l'Assemblée Nationale se mette donc au travail en tenant compte des observations formulées par le conseil constitutionnel. Quand le projet ou la proposition de loi sera en chantier, alors, M. Jean Sibille pourra nous donner ce que la rédaction des Cahiers pédagogiques appelle son " point de vue particulièrement autorisé " de membre d'une " délégation générale ".
Je lui signale, à toutes fins utiles, que M. Poignant lui-même, semble aujourd'hui considérer avec sagesse que cette solution est préférable à celle envisagée par les " jusqu'auboutistes " et inconditionnels de la Charte : l'hypothèse d'une révision constitutionnelle qui réouvrirait la porte d'une ratification est aussi improbable qu'aléatoire et inopportune aux yeux des responsables les plus avisés.
Christine Gibon, Conseillère principale d'éducation dans le 93, (Abonnée aux Cahiers pédagogiques, et adhérente du CRAP).

 

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