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A Chelles, au lycée Bachelard, « on est à bout, on n'en peut plus »

 
Dominique Le Guilledoux mediateur@lemonde.fr
Mis à jour le vendredi 24 mars 2000

UN JOUR, au lycée Gaston-Bachelard à Chelles (Seine-et-Marne), les professeurs ont pris le balai et la serpillière et ils ont fait le ménage avant le cours, « c'était trop dégueu ». Parfois, des élèves s'endorment en classe, « on sait qu'ils travaillent le soir chez Quick ou Décathlon ». Certains ont fumé un pétard : « Je ne vois rien, madame, sur le tableau. » D'autres ne peuvent se concentrer plus de dix minutes : « C'est plus fort que moi, madame, faut que je parle. »

En mathématiques, un élève de terminale n'est pas capable d'expliquer ce qu'est un tiers. En revanche, il sait calculer une intégrale : l'exercice est répété trente fois et plus s'il le faut, « ça devient pavlovien, c'est chiant pour nous, c'est chiant pour eux ». Presse-boutons, « on en fait des presse-boutons ». Ils ne pensent pas, ils consomment du savoir pré-cuit comme une recette de cuisine, « plus rien n'a de sens ». C'est du lycée « light » ou de la garderie. Le tableau est peut-être un peu trop noir : « On est à bout, on n'en peut plus. »

Classé en zone d'éducation prioritaire, le lycée n'est pas mauvais, avec un taux de réussite au baccalauréat de 70 %, au-dessus de la moyenne académique. Certains élèves ont été admis dans les classes prépas des prestigieux lycées de Paris. Les lycéens de milieu défavorisé, « faut voir comment certains se jettent sur les cours, comment ils ont besoin de culture, le lycée est leur seul lieu pour cela ».

  « IL A FAILLI NOUS CHLOROFORMER »

Des élèves qui s'ennuient, « ça fait peur, on n'arrive pas à les nourrir, à exciter leur intelligence ». Toutes les difficultés accumulées en primaire et au collège se cristallisent au lycée : il arrive que des élèves écrivent en phonétique ou ne sachent pas lire. « On se demande comment ils ont pu arriver là. » Ou plutôt, on le sait très bien : qu'ils soient bons ou mauvais, les élèves passent, les parents peuvent ne pas tenir compte des avis de redoublement formulés par un conseil de classe. « C'est de la démagogie, c'est dramatique pour les élèves. » Les soutiens individualisés sont une solution, « mais on doit choisir parmi les élèves qui en ont besoin, parfois on ne peut pas choisir. Et puis les bons se sentent délaissés. » Du bluff, de belles paroles, du trompe-l'oeil : les enseignants de Chelles ne mâchent pas leurs mots contre Claude Allègre. « Il a failli nous chloroformer et nous mettre KO. » Pour eux se profile le modèle anglo-saxon avec un lycée public qui assurerait le minimum tout en étant divertissant, et des écoles privées qui capteraient les bons élèves. Derrière l'institution des « travaux personnels encadrés » se cache à leurs yeux un contrôle continu qui remplacerait le baccalauréat, épreuve unique et nationale. « On aurait un bac estampillé du nom du lycée. On imagine les inégalités. »

Tous conviennent qu'il faudrait faire un « effort monstrueux dès la maternelle et le primaire, avec des classes de dix élèves, des spécialistes du langage, des psychologues ». Les professeurs de Chelles sont fatigués. Depuis longtemps, ils attendent des réformes, « et quand il y en a une, elle ne fait que dégrader la situation ». Ils disent qu'ils ont une passion pour ce métier, « Allègre est presque arrivé à la tuer ». Ils disent qu'ils sont la dernière ligne des « soldats de la République » : « Après nous, y a plus rien. »

  Dominique Le Guilledoux



Le Monde daté du samedi 25 mars 2000

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