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Enseigner le français : vaines querelles et vrais enjeux

 
Mis à jour le mercredi 8 mars 2000


Les textes consacrés par certains, dans ces colonnes (Le Monde du 4 mars), à l'enseignement littéraire rappellent de mauvais souvenirs. Faut-il vraiment reprendre des débats idéologiques qui ont eu leur pertinence il y a trente ans, mais qui sont aujourd'hui dépassés, et à coups d'oppositions simplistes et manichéennes rejouer la querelle des anciens et des modernes, l'affrontement des défenseurs des grandes oeuvres et des découvreurs de nouveaux langages, et sommer les enseignants de choisir entre l'enseignement de la littérature et celui de la communication ?

Tous ceux qui ont étudié l'histoire de l'enseignement du français, depuis qu'au début de la IIIe République il a affirmé son autonomie, savent que ces débats reviennent périodiquement, le plus souvent dans les périodes dites de crise, c'est-à-dire lorsque des mutations importantes de la société et du système éducatif l'obligent à redéfinir ses missions et ses méthodes. Il y a toujours alors des voix pour dire la nostalgie du temps passé, les fantasmes du niveau qui baisse et de l'effondrement des valeurs, plutôt que de faire des propositions constructives et d'affronter la réalité.

Le problème, c'est que ces comportements n'aident guère à améliorer l'efficacité de l'enseignement. A quoi sert de crier à l'assassinat de la littérature, sur la base de rumeurs, et en se référant à des textes qui ne sont jamais cités, faute sans doute d'avoir été lus ? Serait-il décidément trop naïf d'en appeler à un débat plus serein et plus sérieux, permettant d'apprécier rationnellement les efforts qui ont été faits, depuis une trentaine d'années, pour permettre à l'enseignement du français, sans renier ses ambitions, de répondre aux besoins d'un public profondément renouvelé ?

Faut-il rappeler que le collège actuel n'est plus celui du début des années 80, qu'une classe d'âge compte aujourd'hui plus de 60 % de bacheliers (taux qui a plus que triplé depuis trente ans), que 45 % de ces diplômés sont désormais détenteurs d'un baccalauréat technologique ou professionnel ?

Libre à certains de considérer que ces évolutions ont dévalué le diplôme : il reste qu'elles ont été voulues par la société française, et que les enseignants tentent chaque jour de relever le défi d'une élévation sans précédent des niveaux de formation.

Pour ne pas mêler artificiellement des problèmes différents, nous n'évoquerons pas ici la question des langues anciennes, qui à elle seule mériterait une nouvelle approche. Mais en ce qui concerne le français, si l'on se réfère aux instructions officielles publiées (nouveaux programmes du collège, élaborés de 1995 à 1997, nouveau programme de seconde, publié en août 1999), rien ne permet de dire que cet enseignement - qui n'est pas seulement, dans le secondaire, un enseignement de la littérature - est menacé d'assassinat !

Ce qui frappe plutôt, c'est l'ambition de ces instructions. Soucieux d'éviter les clivages sommaires que nous avons évoqués plus haut, l'enseignement du français cherche aujourd'hui à développer chez les élèves à la fois les compétences linguistiques et les compétences littéraires et culturelles, en lien avec le programme d'histoire. Il revendique à la fois l'héritage de la rhétorique, qui enseigne le maniement des diverses formes de discours, et la tradition littéraire qui l'a marqué, mais de façon parfois trop étroite, depuis un siècle.

Par exemple, les nouveaux programmes de sixième prévoient explicitement l'étude, en extraits ou en version adaptée, de textes fondateurs comme la Bible, l' Odyssée, l' Enéide ou les Métamorphoses d'Ovide ; ceux des années suivantes évoquent le cycle de la Table ronde ou le Roman de Renart. Où est la disparition de la littérature ? Les nouveaux programmes de seconde, à côté de nombreuses rubriques consacrées à la littérature (le roman ou la nouvelle au XIXe ou au XXe siècle, le théâtre, l'histoire littéraire, les conditions de production et de réception des textes, etc.), insistent sur la nécessité de développer chez les élèves la production d'écrits (et pas seulement le commentaire) ou la pratique de l'expression orale, dont un rapport de l'inspection générale déplorait récemment les insuffisances. Où est le crime ?

Aucun texte officiel ne prévoit à ce jour la disparition de la dissertation. En revanche, tout professeur de français sait bien que cet exercice n'est plus choisi, au baccalauréat, que par un très petit nombre de candidats : c'est sur cette réalité-là, et non sur des slogans, qu'il faut travailler, pour trouver les moyens de faire pratiquer par les élèves, comme il est en effet souhaitable, des exercices variés permettant l'apprentissage de la construction logique et du discours argumenté.

Nous connaissons bien les inquiétudes actuelles des enseignants. Mais ce n'est pas les aider qu'agiter de vaines querelles, en méconnaissant les efforts de tous ceux, enseignants du secondaire ou du supérieur, chercheurs en didactique de la langue et de la littérature, spécialistes de la formation des maîtres, qui s'attachent patiemment au renouvellement d'une discipline.

Ces dernières années, une réflexion de fond a été conduite, bien des clivages stériles ont été dépassés, et il est possible aujourd'hui de s'entendre sur une définition large de l'enseignement du français, où la littérature a bien sûr toute sa place. Pour mener à bien ce chantier, toutes les bonnes volontés sont bienvenues : nous n'avons pas besoin d'imprécations médiatiques, mais du travail concret de défense et illustration de l'enseignement du français, qui se construit dans la recherche et la pratique quotidienne de la classe.

Alain Boissinot (inspecteur général de l'éducation nationale et professeur à l'université de Cergy-Pontoise), Jean-Claude Chevalier (ancien président de la Commission de réflexion sur l'enseignement du français), Jean-Louis Chiss (Ecole normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud), Daniel Delas (université de Cergy-Pontoise), Anne-Marie Garat (écrivain et professeur de lycée), Violaine Houdart-Merot (université de Cergy-Pontoise), Romain Lancrey-Javal (professeur de classe préparatoire au lycée Fénelon), Gérard Langlade (IUFM de Toulouse), André Petitjean (université de Metz), Jean Verrier (université Paris-VIII).



Le Monde daté du jeudi 9 mars 2000

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